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IDEXX SDMA

Cas clinique SDMA : ORSO

L’hémoglobine réticulocytaire, un biomarqueur performant pour le diagnostic des carences en fer

Orso, Border Collie mâle canin

Patient :
ORSO, Border Collie mâle castré de 10 ans.

Motif de la consultation :
Amaigrissement/perte de poids depuis plusieurs mois, quelques épisodes de dysorexie parfois accompagnés de troubles digestifs (selles molles, rares vomissements), troubles du comportement alimentaire rapportés (coprophagie, pica).

Historique :
Une vermifugation et une transition alimentaire vers une alimentation sèche hyperdigestible ont été prescrites lors du bilan annuel de santé précédent. Aucune amélioration notable n’a été observée.

Examen clinique :
L’état général d’ORSO est bon malgré un amaigrissement et une perte de poids marqués, sa note d’état corporel est de 2/9. Il est normotherme et normohydraté. L’examen de la cavité buccale, des appareils cardio-vasculaire et respiratoire ne montre aucune anomalie. La palpation abdominale au moment de la consultation est souple et non douloureuse.

Liste des anomalies :

  • Amaigrissement/perte de poids
  • Dysorexie
  • Troubles digestifs intermittents (diarrhée, rares vomissements)
  • Trouble du comportement alimentaire (coprophagie, pica)

Hypothèses diagnostiques

Syndrome amaigrissement/perte de poids (liste non exhaustive)
Causes extra-digestives
  • Causes environnementales
  • (Défaut d’apport)
  • Causes alimentaires
  • Causes néoplasiques
  • Causes infectieuses
  • Causes inflammatoires systémiques (y compris affections immunitaires…)
  • (Syndrome fièvre chronique)
  • Métabolisme exacerbé
  • Affections métaboliques (diabète sucré)
  • Affections organiques
    • Affections rénales (maladie rénale terminale, syndrome néphrotique)
    • Affections cardiaques
    • Affections de l’oro-pharynx
Causes digestives
  • Affections hépatiques
  • Affections intestinales (syndrome malabsorption/maldigestion, entéropathie exsudative…)
  • Affections pancréatiques (IPE +/- secondaire à pancréatite chronique)

Trouble du comportement alimentaire (coprophagie, pica)
  • Causes comportementales
  • Causes alimentaires
    • (Aliment de mauvaise qualité ou peu adapté)
    • Carence nutritionnelle
  • Parasitisme
  • Causes digestives
    • Affections gastro-intestinales (gastrite chronique, syndrome malabsorption/maldigestion)
    • Affection pancréatique (IPE +/- secondaire à pancréatite chronique)
  • Causes métaboliques (diabète sucré, hypercorticisme, traitement corticoïdes…)

Examens complémentaires

Les hypothèses comportementales, alimentaires et environnementales n’étant pas privilégiées, un bilan biologique est réalisé de manière à explorer les principales hypothèses diagnostiques. Compte-tenu de la non spécificité des signes cliniques, un bilan d’exploration large est recommandé.

Bilan sanguin et urinaire

Un bilan rénal complet est réalisé associant des tests fonctionnels (urée/créatinine, SDMA, densité urinaire) et lésionnels (UPC/ RPCU rapport protéines/créatinine urinaires, bandelette urinaire, culot urinaire).

La densité urinaire à 1,030, en l’absence de déshydratation, semble indiquer que la capacité de concentration des urines par le rein est conservée mais une valeur isolée ne permet pas de conclure définitivement. Il est donc préconisé de suivre attentivement l’ensemble des paramètres rénaux sur une période plus étendue.
A la bandelette urinaire des traces de protéines sont détectées mais cela n’est absolument pas significatif compte-tenu de la valeur du pH (faux positifs sur urines basiques) et de la densité urinaire (absence de dilution des urines). La présence d’une légère hématurie n’est pas surprenante compte-tenu de la méthode de collecte (cystocentèse).
Enfin, le culot urinaire ne révèle aucune anomalie et le RPCU est inférieur à 0,2 (0,16).

La créatininémie pour OSCAR était de 8,7 mg/L (IR intervalle de référence : 5-18 mg/L) 5 ans auparavant. Elle est évaluée sur le même automate le jour de la consultation à 9,3 mg/L (IR : 5-18 mg/L). Cette différence n’est pas significative. En revanche, une perte de poids et un amaigrissement conséquents ayant été signalés par le propriétaire, le dosage de la SDMA est incontournable. La valeur de 11 μg/dL confirme que la fonction rénale semble conservée à ce stade. Les autres paramètres sanguins rénaux (urée, calcium, phosphore et ionogramme) sont dans l’intervalle de référence (IR). L’hypothèse de maladie rénale est alors écartée avec confiance.

Les paramètres hépatiques (PAL, ALAT, GGT, albumine, bilirubine totale, cholestérol) sont dans l’intervalle de référence. Une affection hépatique est donc peu probable. Le rapport Albumine/Globulines n’est pas en faveur d’une inflammation ou d’une infection sévère.

L’absence d’hyperglycémie associée à une absence de glucosurie rend l’hypothèse d’un diabète sucré peu probable. L’absence d’augmentation des PAL et d’une protéinurie avérée associée à une clinique peu évocatrice rend l’hypothèse d’hypercorticisme peu probable.

La numération et formule sanguine complète révèle la présence d’une anémie (hémoglobinémie à 8,7 g/dL) microcytaire (VGM 51,2 fL) hypochrome (TCMH 18,6 pg) non régénérative (réticulocytes dans l’IR). L’hémoglobine réticulocytaire est inférieure à l’intervalle de référence. Cette dernière permet de suspecter une carence en fer vraie ou fonctionnelle (retrouvée lors de shunt ou d’inflammation par exemple). On note également la présence d’une leucopénie modérée caractérisée par une lymphopénie et une éosinopénie confirmées sur les nuages de points. Associée à l’anémie non régénérative dans un contexte de perte de poids chronique, l’observation d’une leucopénie permet de privilégier une hypothèse centrale. L’absence d’anomalies biochimiques sur le bilan hépatique ou le bilan inflammatoire ainsi que l’absence de granulocytes non segmentés immatures visibles rend l’hypothèse de carence en fer fonctionnelle par shunt ou inflammation moins probable. L’hypothèse de carence en fer vraie par perte de sang chronique doit donc être explorée en priorité. Ni les informations communiquées par les propriétaires, ni l’examen clinique ou ni les bilans sanguins et urinaires ne permettent de suspecter méléna, hémochésie ou hématurie qui pourraient expliquer la perte de sang chronique. Des examens d’imagerie (échographie, endoscopie) ainsi qu’une coproscopie/bilan diarrhée ont donc été proposés afin d’explorer les hypothèses gastro-intestinales restantes. En parallèle, un bilan malabsorption/maldigestion (dosage de TLI/ Folates/B12) a été effectué. Un dosage de la Spec cPL permettant de rechercher une pancréatite chronique n’a malheureusement pas pu être réalisé.

La coproscopie est négative. Une spoliation sanguine par des parasites internes est donc écartée. En revanche un campylobacter a été isolé mais il ne peut expliquer à lui seul l’ensemble du tableau clinique et biologique. En parallèle, une hypocobalaminémie à 166 ng/L (IR : 250-900) a été mise en évidence. Cette dernière peut avoir plusieurs origines possibles : déficit congénital en récepteur du facteur intrinsèque permettant l’absorption de vitamine B12 depuis l’intestin (effet race), atteinte intestinale limitant l’absorption, atteintes gastrique et pancréatique par baisse de production du facteur intrinsèque, syndrome de prolifération bactérienne (1)… Un déficit en vitamine B12 pourrait tout à fait expliquer une partie de l’anémie arégénérative mais pas la microcytose car les anémies par déficit en B12 sont plutôt macrocytaires classiquement. Les investigations doivent donc être poursuivies.

Les examens d’imagerie, quant à eux, mettent en évidence la présence d’un ulcère avec un effet de masse au niveau de la grande courbure de l’estomac. Le reste de l’examen échographique et endoscopique n’a pas montré d’autre anomalie. L’hypothèse d’une pancréatite chronique concomitante ne peut cependant être écartée en l’absence de dosage de Spec® cPL et d’un examen histopathologique de cet organe. L’examen histopathologique réalisé sur biopsies au niveau de l’estomac a conclu à une origine inflammatoire et à la présence d’helicobacter.

Diagnostic

ORSO souffre d’un ulcère et d’une masse inflammatoire en regard de l’estomac.

Traitement et suivi

Un traitement antibiotique à base d’érythromycine a été instauré pour lutter contre le campylobacter. Ce dernier se justifiant d’autant plus qu’une légère leucopénie avait été mise en évidence. Une supplémentation en fer et en vitamine B12 a également été initiée. Un traitement symptomatique pour les troubles digestifs à base de pansements digestifs et d’anti-acides a été prescrit. Des suivis cliniques et biologiques réguliers ont été programmés. Les propriétaires ont été invités à suivre attentivement la courbe de poids, l’appétit et l’absence de troubles digestifs. Dès la réception des résultats histopathologiques, une couverture antibiotique à base d’amoxicilline et de métronidazole a été instaurée pour lutter contre helicobacter, ainsi qu’un traitement immunomodulateur. A l’occasion des contrôles et grâce à la supplémentation en fer, une nette amélioration des paramètres hématologiques de la lignée rouge a pu être observée (remontée de l’hémoglobinémie, de l’hématocrite et de l’hémoglobine réticulocytaire).

Rapports du patient

 
Analyse urinaire

Capture d'écran du rapport d'analyse d'urine

Biochimie

Capture d'écran du rapport biochimie

Capture d'écran du rapport biochimie

Capture d'écran du rapport CBC

Capture d'écran du rapport dot plot

Discussion

Les réticulocytes sont des globules rouges immatures sans noyau produits par la moelle osseuse. Ces cellules sont capables de synthétiser l’hémoglobine qui leur fait défaut à hauteur de 20 à 30% en comparaison avec les globules rouges matures. La numération des réticulocytes donne une indication sur les capacités de réponse de la moelle osseuse face à une demande accrue en globules rouges. Il s’agit d’un indicateur quantitatif. L’hémoglobine réticulocytaire ou RETIC-HGB, quant à elle, reflète la teneur en hémoglobine des réticulocytes. Il s’agit d’un indicateur qualitatif des réticulocytes produits en temps réel par la moelle osseuse. Ces 2 informations sont donc complémentaires. RETICHGB est un biomarqueur sensible et spécifique des carences en fer. En effet, le fer est un élément indispensable à la synthèse de l’hémoglobine. Une hémoglobine réticulocytaire basse peut être physiologique chez les animaux jeunes (moins de 16 semaines) ou appartenant à certaines races (Akita Inu, Shiba Inu, Sharpei, Chow Chow, Husky, Abyssin). Dans le cas contraire, elle indique la présence d’une carence en fer vraie (déficit en fer) ou fonctionnelle (fer en stock mais séquestré donc indisponible). Dans le premier cas, il convient d’investiguer une perte de sang chronique (parasitisme, maladie gastro-intestinale ou urinaire). Dans le second, il faut rechercher une inflammation chronique, un shunt porto-systémique ou une hépatopathie chronique notamment. Dans une étude rétrospective effectuée sur plus de 10.000 NFS de chiens réalisées en cliniques lors d’une consultation quelle que soit sa nature, la prévalence de cette anomalie (RETIC HGB basse) a été évaluée à 10,1% (2). Dans 30% des cas, elle n’était pas associée à une anémie. Cet indicateur est plus sensible et donc plus précoce que les marqueurs érythrocytaires habituels (VGM et CCMH) pour détecter une carence en fer. Il est utile dans le cadre de la démarche diagnostique mais également lors du suivi biologique et thérapeutique.

Ce cas clinique illustre l’intérêt de réaliser un hémogramme systématiquement lors de l’admission en combinaison avec un bilan biochimique sanguin et urinaire. L’interprétation complète de l’hémogramme est déterminante pour maximiser ses chances d’établir rapidement un diagnostic. Les réticulocytes et l’hémoglobine réticulocytaire ont joué un rôle clef dans la démarche diagnostique orientant le clinicien sans délai vers une carence en fer.

Conclusion

L’ulcère et la masse stomacale ont été à l’origine d’une perte de sang chronique induisant une anémie par carence en fer vraie ainsi qu’une perte de poids, des troubles digestifs intermittents et un trouble du comportement alimentaire.

Télécharger le cas clinique de ORSO

Dr Frédérique BERNAERTS

DMV, Dipl ECVIM, spécialiste en Médecine Interne
Centre Hospitalier Vétérinaire NORDVET
La Madeleine (59)

Dr Damien LEGROUX

DMV, CES de Biochimie et Hématologie
Cliniques Animales. DU d’hématologie
Laboratoire IDEXX


 


Références bibliographiques

  1. Fundamentals of Veterinary Clinical Pathology, 2nd edition, Stockham SL. & Scott MA. 2008
  2. Clinical utility of RETIC-HGB – A new parameter for canine reticulocyte hemoglobin content, Fuchs, Moritz, et al. Vet Clin Pathol. 2017 Sep;46(3):422-429